Aujourd’hui tout le monde parle d’innovation. Mais au-delà des grands principes et des déclarations peu engageantes, innover n’est pas quelque chose de foncièrement naturel pour la plupart des organisations. L’innovation perturbe les habitudes, elle casse les silos et crée de l’incertitude. Ceux qui l’aiment, qui l’accompagnent et qui la vivent au quotidien le savent bien : innover demande du courage, une motivation sans faille et de la méthode.
Techniquement, tout le monde peut innover. Mais tout le monde n’en a pas les moyens. Soit en raison d’une autocensure, fruit d’un déterminisme social paralysant, soit en raison d’une structure politique et hiérarchique étouffante. Pour innover, il faut un contexte, une méthode, une approche, mais surtout des femmes et des hommes qui sont capables d’aller un peu plus loin que les autres. Si tout le monde n’est pas fait pour devenir entrepreneur, tout le monde peut, en revanche, avoir une idée qui peut transformer une intention en business viable, ou transformer un processus sclérosant en levier de croissance.
Avant de se lancer dans la mise en place d’une démarche d’innovation, il faut donc se poser les bonnes questions, et ne surtout pas se complaire dans ses propres biais et idées reçues. L’innovation ne requiert fondamentalement ni responsabilité, ni diplôme, ni talent. C’est le fruit d’une combinaison subtile qui intègre de l’expérience, du bon sens, de l’observation et de l’intuition.
Qui a l’âme d’un innovateur ? Qui a l’âme d’un intrapreneur ? Et quelle est la différence entre les deux ? Comment repérer les inventifs, les créatifs, les engagés, les volontaires, et ceux qui veulent participer activement à la construction et au renouveau de leur entreprise, parmi vos collaborateurs ? D’ailleurs, faut-il nécessairement s’adresser à tous les collaborateurs ? Et si non, comment cibler les bonnes populations en fonction des objectifs à atteindre ?
Comment faire pour optimiser le potentiel d’innovation de vos équipes ?
Pour pouvoir profiter pleinement des capacités d’innovation de vos collaborateurs, il est nécessaire de créer la bonne hybridation entre innovation participative, amélioration continue et intrapreneuriat. Toutes les bonnes idées ne sont d’ailleurs pas éligibles à l’intrapreneuriat.
En effet, la plupart d’entre elles ne peuvent, voire ne doivent, pas faire l’objet d’un traitement visant à les isoler de l’organisation pour être incubées ou excubées. L’immense majorité des bonnes idées apportent réellement de la valeur à l’entreprise quand elles sont reprises et développées au sein de la bonne direction métier.
Dans le cas d’une idée issue du programme d’innovation, il faut disposer d’une gouvernance permettant rapidement de lui faire suivre un chemin pour rejoindre une roadmap de développement au sein d’une entité. Ce qui était initialement une idée innovante deviendra alors un projet innovant au sein de sa direction d’appartenance naturelle.
Cette démarche repose généralement sur une plateforme participative de collecte couplée à un processus d’identification, d’évaluation et de sélection exploitant en partie l’intelligence collective (via des mécanismes de collaboration sociale) et mobilisant l’expertise de l’entreprise pour mesurer la valeur et la pertinence du projet pour l’entreprise.
Dans le cas d’une amélioration ou pour un dysfonctionnement, si la mesure de l’impact sur l’organisation est un préalable à sa prise en charge et à son traitement, sa réalisation, elle aussi, devra être effectuée au sein de la bonne direction métier.
Cependant, dans le cas d’un concept pouvant donner naissance à une nouvelle activité ou capable, sous réserve qu’il soit concrétisé avec rapidité, de générer des revenus additionnels conséquents (voire de redéfinir le business model de l’entreprise), il faut pouvoir s’affranchir des organisations projets en place et suivre une gouvernance particulière au sein d’un programme d’intrapreneuriat autonome.
Optimiser le potentiel d’innovation de ses équipes passe donc par la création d’un programme qui doit être flexible. Le succès des DNVB (Digital Native Vertical Brands) tient autant à leur agilité interne qu’à leur capacité à contrôler l’ensemble des processus pour limiter les coûts, tout en s’adjoignant l’appui d’une forte communauté basée sur des valeurs humaines, réelles et palpables. Elles ne sont pas prisonnières d’une histoire ou d’un héritage et peuvent s’inventer et se réinventer à l’infini.
Les grands groupes restent majoritairement dans une optique de contrôle du risque. C’est la raison pour laquelle l’excubation représente une option intéressante lorsque la machinerie interne semble trop difficile à bouger. C’est par exemple le cas avec Axa qui, en 2015, lança Kamet Ventures, un incubateur d’innovations technologiques doté de 100 millions d’euros qui a pour objectif d’imaginer, d’initier, de lancer et d’accompagner des projets innovants autour de l’AssurTech. Des projets portés par des équipes d’Axa ou des entrepreneurs externes, qui bénéficient de l’agilité d’une structure d’incubation tout en ayant à leur disposition le savoir-faire et les expertises d’Axa à travers le monde.
Orange, Axa, ou encore Amazon et Google… chaque groupe a son propre modèle interne pour faire émerger l’innovation, la disruption, la création d’idées et la prise de risque. Ce qui compte c’est de donner à vos équipes les moyens de pouvoir se lancer.
À qui s’adresse votre programme d’innovation ?
À tout le monde. C’est la réponse la plus courante à cette question. Vous pouvez légitimement avoir comme objectif d’embarquer le plus grand nombre de collaborateurs, sans distinction particulière, afin d’offrir à tous l’opportunité de participer à votre démarche d’innovation. Dans ce cas, il est utile de mettre en œuvre une approche de type concours avec la création d’un événement à résonance transversale. Transformer l’innovation en grand rendez-vous annuel permet de créer un momentum mobilisateur dans une démarche ludique et hautement efficiente.
Toutefois, il faut être franc : un événement de cette ampleur prend du temps à organiser, et même s’il est extrêmement réussi, il n’aura qu’un caractère éphémère. Vous pouvez donc cibler différentes populations au sein de votre entreprise pour valoriser votre démarche.
Les salariés désengagés
Vous les connaissez certainement. Ceux qui ne sont jamais satisfaits, mais qui ne font rien pour que leur situation s’arrange. Ceux dont l’argument principal qu’ils opposent à chaque nouveau projet est invariablement le fameux « ça ne marchera pas » ou « on a déjà essayé ».
Sans pour autant exclure les autres salariés, cibler des désengagés permet d’aborder l’innovation sous l’angle de l’amélioration de l’existant. Généralement, un collaborateur peu ou pas engagé a perdu confiance. Il est psychologiquement détaché de son travail et de son entreprise, et n’investit ni énergie ni passion dans ses missions. Les raisons de ce manque de motivation sont souvent à rechercher dans la défaillance de l’entreprise face à la prise en compte de ses difficultés du quotidien. Une approche axée sur l’amélioration continue et la résolution de problème est un bon angle pour remobiliser ces énergies à condition que cela soit rapidement suivi d’effets.
Une étude de Gallup montrait que la France avait le plus grand taux de salariés complètement désengagés en Europe (25%). Ce sont des employés qui ne sont pas seulement malheureux au travail, mais qui sont aussi frustrés par le fait que leurs besoins ne soient pas satisfaits. Ils véhiculent leur démotivation et sapent les accomplissements de leurs collègues engagés. Savoir gérer les salariés désengagés est donc une tâche hautement critique pour l’entreprise. Non seulement pour éviter la dégradation des conditions de travail vers un environnement toxique, mais également parce que ce sont des bons candidats pour des innovations de rupture.
Les salariés engagés… et ceux qui le sont un peu moins
Eux, ce sont les bons élèves. Ils restent toutefois rares en entreprise : 6% en France selon l’étude de Gallup, qui les qualifie d’employés hautement impliqués et enthousiastes dans leurs fonctions et sur leur lieu de travail. Ils sont psychologiquement impliqués, entraînent la performance et l’innovation et ils font avancer l’entreprise. Là aussi, la France est à la traîne par rapport aux autres pays européens. Seule l’Italie compte moins de salariés engagés (5%). Sur le podium, ce sont des pays du nord qui réussissent le mieux (Norvège, Danemark et Islande) avec des taux de 16 et 17%.
Les salariés engagés sont des bons candidats pour s’impliquer au sein de projets d’innovations incrémentale. Ils peuvent contribuer à améliorer des petites choses, à réduire les points de friction, mais ils ne seront que très rarement associés à un projet d’innovation de rupture.
Aussi décevant ou surprenant que cela puisse paraître, les salariés engagés ne représenteront jamais la majorité dans les entreprises. Celle-ci est avant tout représentée par les salariés qualifiés de « pas engagés » (entre 65 et 75% des effectifs en moyenne, en Europe). Ce sont des employés psychologiquement détachés de leur travail et de leur entreprise. Comme leur besoin d’engagement n’est pas satisfait, ils investissent du temps – mais pas d’énergie ni de passion – dans leur travail. C’est la majorité silencieuse. Celle qui ne pose pas de problème au management, mais qui n’apporte pas non plus de solutions éclatantes. Elle travaille, ne pose pas trop de questions, et même si l’efficacité n’est pas toujours au rendez-vous, elle avance. Les salariés peu engagés ont pourtant des choses à dire. Souvent, ils n’osent pas, car leurs idées sont souvent liées à des problématiques d’innovation managériale. Pourtant, s’il était possible de leur donner la parole, ils auraient des choses à dire qui serait susceptibles de renforcer leur motivation et leur engagement.
Le top management
Il n’est pas souvent considéré comme une cible prioritaire dans un programme d’innovation. On pense trop souvent, et à tort, que son niveau de sensibilisation supposé en matière d’innovation est largement suffisant pour développer ses idées. Or, l’expérience montre que tous les top managers n’ont pas le même niveau d’acculturation. En les plaçant en tant que jury, coach, mentor ou financiers du programme, vous les associez activement à la démarche et garantissez une légitimité au programme.
Le middle management
Il est indispensable pour faire fonctionner un programme d’innovation collaborative. C’est lui qui entraîne, dynamise, accompagne et anime ses équipes. Les managers intermédiaires doivent être parties prenantes dans les décisions afin de modifier leurs roadmaps et leurs priorités. Dans le cas d’un dispositif d’intrapreneuriat, ils doivent accepter de voir un ou plusieurs collaborateurs quitter leurs équipes pendant le temps nécessaire à l’incubation, voire au-delà.
Les salariés entrepreneurs
Ils sont difficiles à trouver, car cela revient à identifier une erreur de parcours ou un mauvais aiguillage qui a amené le salarié à ne pas créer son entreprise (ou à reprendre un travail après avoir échoué). C’est aussi le cas de celui qui développe de nombreuses passions entrepreneuriales personnelles et pour qui le travail n’est qu’un moyen de subsistance. C’est la raison pour laquelle on les retrouve parfois dans la catégorie « activement désengagés ». Cela peut-être aussi le profil de l’indépendant ou du franc-tireur qui est protégé par son carnet d’adresses, son ancienneté ou son expérience en entreprise. Il pourrait apporter énormément à l’entreprise en créant son propre projet, mais parce que les dispositifs n’existent pas ou ne sont pas connus, il reste un électron libre à la productivité fluctuante.
Si beaucoup de salariés sont des innovateurs, faut-il qu’ils deviennent tous intrapreneurs ?
Entreprendre et intraprendre requiert des qualités communes. Cela conduit immanquablement l’individu à se confronter aux mêmes difficultés avec les mêmes qualités personnelles. Il doit être fédérateur, convaincant, motivant, autonome, audacieux, ambitieux, confiant, inventif, savoir contourner les règles et pouvoir sortir des sentiers battus.
Or tout le monde ne peut pas devenir intrapreneur. Pourtant, tout le monde peut avoir un jour la bonne idée qui peut changer profondément la structure ou l’organisation d’une entreprise. Il ne faut donc pas qu’il y ait un clivage entre les intrapreneurs, les innovateurs et les autres salariés de l’entreprise. Il n’y a pas que les « intras » qui peuvent « hacker » leur organisation pour lui faire franchir un cap. Certains salariés seront meilleurs dans l’idéation, là où d’autres préféreront le développement ou la coordination des projets. Un acteur à l’origine de l’idée n’a pas à en assumer la pression et la responsabilité de A à Z. Il fait partie d’une équipe où l’intelligence collective transcende la propriété des idées.
L’innovation peut surgir de partout, à l’initiative de tous les collaborateurs, encore faut-il être en capacité de l’identifier et de la transformer en quelque chose de concret. Pour l’entreprise, le tout est de savoir reconnaître et valoriser les qualités de chacun pour en tirer le meilleur parti.
Pourquoi intégrer ses employés dans un programme d’innovation ?
L’innovation collaborative n’est pas un levier de communication interne destiné à apaiser la tension sociale en laissant les salariés s’exprimer avec plus ou moins de liberté. C’est un impératif qui doit conduire les entreprises à aller au-delà des preuves de concepts pour donner naissance à des offres, des produits et des services susceptibles de réaliser leur « go to market » et dégager de véritables revenus. Les clés de succès sont à chercher dans la nature des programmes et leur mode d’exécution, plus que dans la qualité des concepts qui y sont proposés par les salariés. Au centre des enjeux : le processus d’identification et de sélection des projets, ainsi que sur le profil de celles et ceux qui sont pressentis pour, à terme, les porter et les réaliser.
En matière d’innovation, vos salariés représentent votre plus grande force. Il faut donc savoir les écouter, les équiper avec les bons outils et limiter les contraintes opérationnelles qui pèsent sur les épaules des profils à fort potentiel de disruption.
À qui s’adresse un programme d’innovation collaborative ?
Ce qu’il faut en retenir :
- Il est important d’avoir conscience de l’état d’engagement de ses salariés. Non seulement pour une question de management et de ressources humaines, mais aussi pour identifier les salariés susceptibles de s’impliquer dans un programme d’innovation.
- L’innovation concerne tous les collaborateurs d’une entreprise, du top management aux emplois subalternes. Ce qui compte ce n’est pas la prestance du statut social, mais la capacité à générer et à formuler des idées qui peuvent changer ou améliorer le quotidien de l’entreprise.
- Il est illusoire de penser qu’innover est facile, sans rien changer en interne. Si on ne dispose pas de la méthode et les bons outils, cela n’est qu’une boîte à idées qui renforce le désengagement et les idées préconçues de la direction sur ses salariés.
- Toutes les grandes success-stories proviennent d’entreprises qui ont laissé de l’espace et de la liberté à leurs collaborateurs. Plus on resserre les règles et les normes, moins on crée un climat propice à l’innovation.
- La France a le triste record du faible taux de salariés engagés et du fort taux de salariés très désengagés, contrairement aux pays du nord. Il serait peut-être temps de s’intéresser aux méthodes managériales scandinaves, non ?